Global Analysis

Feux de forêt dévastateurs et mission de l’Église

Comprendre et se réapproprier notre appel à préserver l’environnement

Tim Carriker Mar 2020

C’est toi, Seigneur, que j’invoque ! Car le feu a dévoré les pâturages du désert, et les flammes ont brûlé tous les arbres des champs. – Joël 1.19

Les incendies de la saison sèche de 2019 en Amazonie ont attiré l’attention des dirigeants politiques et des organisations religieuses du monde entier, non seulement en raison de leur nombre et de leur intensité, mais aussi en raison de leur impact environnemental mondial et de la réaction des responsables gouvernementaux brésiliens et autres.

Ces foyers amazoniens toujours actifs ne sont qu’une partie d’un réseau extrêmement complexe d’événements liés à une crise planétaire croissante.

Pourtant, ces foyers amazoniens toujours actifs ne sont qu’une partie d’un réseau extrêmement complexe d’événements liés à une crise planétaire croissante.[1] En tant que tels, ils soulèvent des questions importantes quant à une réponse chrétienne appropriée. Cet article aborde chacun des sujets suivants : les feux eux-mêmes, leur impact et leur importance à l’échelle du monde, les réponses tant internationales que de la part des gouvernements nationaux, ainsi que des lignes directrices pour une réponse chrétienne.

Figure 1 1 :Carte du biome amazonien (contour blanc) et du bassin de l’Amazone (contour bleu clair)

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Copyright: Creative Commons, 6 March 2017

Les feux amazoniens

En tant que fils, frère et oncle de pompiers locaux, j’ai grandi avec les dangers des incendies. Au cours de mes études au Sud de la Californie, j’ai pu constater de visu l’ampleur des effets que peuvent avoir les incendies sur de vastes zones, nécessitant la première intervention des pompiers de plusieurs États voisins.

Le bilan des incendies en Amazonie entre dans une tout autre catégorie, en raison de l’étendue du périmètre de la région et de son rôle dans la stabilité écologique mondiale :[2]

  • La zone s’étend sur huit pays (Brésil, Bolivie, Pérou, Équateur, Colombie, Venezuela, Guyane et Suriname) et le territoire de la Guyane française.
  • Les 6,7 millions de kilomètres carrés du biome amazonien font deux fois la taille de l’Inde.
  • C’est la plus grande forêt tropicale restante, plus de la moitié de la forêt tropicale humide restante sur la planète, et elle abrite 10 % de la biodiversité connue dans le monde.
  • Ses quelques 6 500 kilomètres de rivière représentent de 15 à 16 % du total de l’écoulement fluvial dans les océans du monde.[3]

Pourtant, depuis 1985, cette immense zone biologiquement diversifiée a perdu 17 % de la voûte forestière, en raison principalement des feux annuels déclenchés pour la défricher en vue du pâturage du bétail et de l’agriculture (environ trois quarts de la déforestation) et aussi pour préparer les terres précédemment cultivées à leurs prochaines récoltes. Lorsque cette perte atteindra entre 20 et 25 %, les changements de l’écosystème amazonien deviendront irréversibles, transformant la zone qui deviendra davantage une savane qu’une forêt, selon Carlos Nobre de l’Académie des sciences du Brésil.[4]

Les incendies dans les zones auparavant non cultivées ne sont que les dernières étapes de la déforestation, car, dans un premier temps, les arbres sont abattus et laissés à sécher au début de l’année, puis mis à feu des mois plus tard pour défricher la terre. La première semaine de septembre 2019, l’Institut national de recherche spatiale (IPNE) avait enregistré 100 000 foyers d’incendie dans tout le Brésil depuis le début de l’année, nombre le plus élevé depuis que l’organisation a commencé à tenir des registres en 2013, et en augmentation de 43 % par rapport à la même période de l’année précédente — plus de la moitié se situaient en Amazonie.

Impact planétaire

Le rôle que l’Amazonie joue sur l’environnement est non seulement crucial pour les schémas climatiques régionaux, mais aussi pour la régulation du climat de la terre. Cela est dû à un certain nombre de facteurs complexes et interdépendants, dont deux sont bien documentés et reconnus par la grande majorité de la communauté scientifique tant au Brésil que dans le monde :

  • Tout d’abord, l’Amazonie stocke de 90 à 140 milliards de tonnes de carbone. Cela représente un quart du dioxyde de carbone absorbé par les forêts du monde. La déforestation, objectif ultime des feux, libère jusqu’à 0,5 milliard de tonnes de carbone par an dans l’atmosphère, contribuant ainsi de manière substantielle au réchauffement climatique.
  • La déforestation diminue également le refroidissement mondial résultant de la condensation produite par cette région (parfois appelée « rivières atmosphériques ») qui est transportée par les grands alizés vers l’Arctique pour un refroidissement supplémentaire.

Ainsi, le brûlage et la déforestation de l’Amazonie qui en découle augmentent tous deux considérablement sa capacité à réchauffer la planète et diminuent sa capacité à la refroidir.

Réponse nationale et mondiale

Le monde a réagi fortement aux incendies. Il y a eu des manifestations dans de nombreuses villes du monde entier, ainsi que l’horreur et la consternation suscitées par les politiques environnementales du président brésilien Jair Bolsonaro et son discours nationaliste à l’ONU en septembre 2019. En août, à la suite des pressions internationales exercées lors du sommet du G7 et de l’accord de libre-échange UE-Mercosur, en instance, le président a envoyé 44 000 soldats pour aider à lutter contre les incendies et a ordonné 60 jours d’interdiction d’allumer de nouveaux feux de défrichage.

Le nombre d’incendies est alors tombé à un tiers du niveau des deux mois précédents. Néanmoins, la déforestation reste le plus grand défi. Selon les données de l’Institut national de recherche spatiale (IPNE) du Brésil, datant de novembre, 8 974,31 kilomètres carrés de forêt amazonienne brésilienne ont disparu au cours des douze mois se terminant en juillet 2019. C’est le taux de déforestation le plus élevé depuis 2008 et près de 30 % de plus que les douze mois précédents.

L’année dernière, les organisations chrétiennes ont également exprimé publiquement leur profonde inquiétude quant à la préservation et la réintégration de la forêt tropicale amazonienne :

  • Des groupes environnementaux évangéliques tels que A Rocha Brésil et Renew Our World, ainsi que l’initiative interconfessionnelle Faith for the Climate, ont organisé des réunions et se sont exprimés contre les incendies par le biais de leurs plateformes sociales.
  • Le Conseil national des Églises chrétiennes du Brésil,[5] le Synode catholique romain des évêques pour la région pan-amazonienne (regroupant les évêques de neuf nations d’Amazonie),[6] la Communion anglicane, l’Alliance évangélique des Églises du Brésil,[7] le Réseau national d’action sociale évangélique du Brésil et le Forum œcuménique ACT au Brésil,[8] ainsi que des organisations chrétiennes du monde entier, telles que Christian Aid au Royaume-Uni,[9] le Conseil œcuménique des Églises,[10] la Communion mondiale des Églises réformées, [11] ont toutes produit et publié des déclarations dénonçant les politiques gouvernementales de « développement » dans la région et appelant à une action gouvernementale pour mettre fin aux brûlis et à la déforestation.

Cependant, ces incendies suscitent deux réactions contraires, représentatives d’une guerre idéologique qui sous-tend toute cette conversation :

  • D’un côté, il y a ceux qui défendent une planète durable pour la survie future de la civilisation humaine (soutenus par une communauté scientifique rigoureuse, largement reconnue comme étant consensuelle à 97 %).
  • De l’autre côté, il y a tout un secteur dont la voix politique est de plus en plus forte et qui, au nom du progrès, de l’ordre et du développement économique, défend le droit d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles avec le moins de réglementation gouvernementale possible.

L’affrontement n’est pas moins important au sein de la communauté chrétienne, ce qui complique profondément la possibilité d’une réponse chrétienne unie. Néanmoins, il faut chercher certaines lignes directrices bibliques.


Feux amazoniens, image satellite depuis le NASA Earth Observatory

Une réponse chrétienne

Les feux amazoniens soulèvent des questions cruciales concernant le bien-être fondamental et l’avenir de notre planète. Il est évident qu’une réponse chrétienne devrait inclure l’eschatologie — et c’est probablement pour cette raison qu’elle est le plus souvent évitée. Cependant, indépendamment des opinions eschatologiques, il existe des perspectives qui méritent d’être prises en considération. Je propose ce qui suit en guise de bref exposé :

1. La protection de l’environnement définit fondamentalement notre humanité même, qu’elle soit chrétienne ou non.

La création et la nouvelle création sont à la fois le début et la conclusion du drame biblique et, à ce titre, elles requièrent une attention plus grande que celle qui leur est habituellement accordée dans l’enseignement chrétien. Notre humanité même est définie précisément par la mission de prendre soin de la création de Dieu (Genèse 1.26-28 ; 2.15), mission qui n’a pas changé, même après la chute (Genèse 9). C’est encore plus vrai pour le peuple de Dieu duquel une création angoissée attend sa propre rédemption (Romains 8.18-25). En tant que disciples de Jésus, nous sommes appelés à reproduire sa mission terrestre de proclamation, d’enseignement et de guérison, en démontrant concrètement notre amour pour Dieu à travers l’amour pour notre prochain (Luc 10.25-37) ; nous remplissons ainsi la mission d’évangélisation qui consiste à faire des disciples dans le monde entier et à leur apprendre à obéir à tout ce que Jésus a ordonné.

2. La protection de l’environnement n’est pas seulement une conséquence de la fidélité des disciples chrétiens sur le plan personnel, mais fait également partie de la mission de l’Église.

En tant que disciples, de même que nous nous appliquons à suivre l’exemple terrestre de Jésus, nous continuons à le suivre dans sa mission actuelle et cosmique qui consiste à « récapituler tout dans le Christ… » (Éphésiens 1.10), y compris par le ministère de l’Église (Éphésiens 1.22-23 ; 3.10). En outre, nous, qui sommes une nouvelle création, avons reçu le ministère de la réconciliation (2 Corinthiens 5.17-18), tout comme le Christ réconcilie tout avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix (Colossiens 1.19-23).

3. Le changement climatique est au centre de l’attention de la communauté scientifique qui travaille sur la crise planétaire actuelle.

En tant que disciples de Jésus « transfigurés par le renouvellement de [notre] intelligence » (Romains 12.2), nous pouvons difficilement soutenir une position antagoniste envers la bonne science. Cela est particulièrement vrai lorsque le consensus est si large parmi les quelque 200 scientifiques de haut niveau qui composent le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, dont beaucoup sont des chrétiens engagés. Au moins quatre sondages indépendants ont conclu que 97 % de la communauté scientifique s’accorde à dire que la crise planétaire fondamentale est due au réchauffement climatique.

4. La protection de l’environnement a atteint, surtout ces dernières décennies, un point critique dans l’histoire de toute la civilisation humaine, tant en rapidité qu’en intensité, et exige donc la réponse de l’Église, d’abord en tant qu’ambassadrice de la justice et de la compassion de Dieu, mais aussi comme une opportunité pour l’évangélisation du monde.

Nous prenons soin de l’environnement, parce qu’il est la création et le plaisir de Dieu ; et parce que nous apprenons, dans la Bible, que, pour Dieu, redresser les torts et réparer les injustices est une exigence aussi globale que l’est sa création. Alors que les victimes du changement climatique augmentent considérablement (les Nations unies estiment qu’il pourrait y avoir entre 25 millions et un milliard de migrants environnementaux d’ici 2050),[12] les chrétiens doivent être prêts à répondre en bons Samaritains.[13]

The single most strategic action is the mobilization of local churches and Christian organizations to plant trees.

Actions concrètes

L’action la plus stratégique pour contrer les effets à long terme des incendies et de la déforestation en Amazonie est la mobilisation des Églises locales et des organisations chrétiennes pour planter des arbres. Près de la moitié des arbres du monde ont été détruits depuis le début de la civilisation humaine. La reforestation est la principale solution au changement climatique, préconisée par la plupart des scientifiques et par les Nations unies, pour accompagner les programmes de réduction des émissions de carbone et de protection des forêts actuelles. Dans le monde entier, environ un billion d’arbres doivent être plantés, ce qui représente une superficie à peu près égale à celle des États-Unis. Bien que ce nombre semble stupéfiant, il y a suffisamment de terres non cultivées disponibles dans le monde pour répondre à cette demande. Les Églises et les organisations chrétiennes peuvent jouer leur rôle dans des programmes pilotes et promouvoir des initiatives commerciales et gouvernementales aux niveaux local et international pour faire de même.[14]

Lectures complémentaires suggérées :

Brown, Edward R. Our Father’s World, Mobilizing the Church to Care for Creation. Downers Grove: IVP Books, 2008.

Moo, Douglas J. and Jonathan A. Moo. Creation Care: A Biblical Theology of the Natural World. Grand Rapids: Zondervan, 2018.

Stam, Juan. The good news of creation. Oxford: Regnum Books, forthcoming.

Snyder, Howard with Joel Scandrett. Salvation Means Creation Healed: The Ecology of Sin and Grace. Overcoming the Divorce Between Earth and Heaven. Eugene, OR: Cascade, 2011.

Notes de fin

  1. Editor’s Note: See article by Ed Brown, entitled, ‘Climate Change after Paris: What it means for the evangelical church’, in May 2016 issue of Lausanne Global Analysis https://lausanne.org/content/lga/2016-05/climate-change-after-paris.
  2. See https://towardsdatascience.com/an-analysis-of-amazonian-forest-fires-8facca63ba69
  3. ‘Inside the Amazon’ in http://wwf.panda.org/knowledge_hub/where_we_work/amazon/about_the_amazon/
  4. ‘Why fires that scorched the Amazon are a planetary emergency’. By Snigdha Das, 30 September, 2019. https://www.downtoearth.org.in/news/natural-disasters/why-fires-that-scorched-the-amazon-are-a-planetary-emergency-66982.
  5. See https://conic.org.br/portal/noticias/3220-movimento-ecumenico-manifesta-preocupacao-com-explosao-de-queimadas-na-amazonia
  6. See http://www.sinodoamazonico.va/content/sinodoamazonico/en.html
  7. See https://www.facebook.com/aliancaevangelicabrasileira/posts/2377140742404731 
  8. See https://religionnews.com/2019/08/28/amazon-fires-deepen-a-split-between-brazils-evangelicals-and-their-fellow-christians/
  9. See https://www.theguardian.com/global-development/2019/sep/06/amazon-fires-shameful-indictment-of-our-lust-for-excess
  10. See https://www.oikoumene.org/en/press-centre/news/church-leaders-amazons-fire-must-be-addressed-as-an-international-crisis
  11. See https://wcrc.ch/?s=amazon
  12. See https://www.climateforesight.eu/migrations/environmental-migrants-up-to-1-billion-by-2050/
  13. Editor’s Note: See article by Ken Gnanakan and Atul Aghamkar, entitled, ‘India’s Water Crisis: How the church can be part of the solution », dans le numéro de mars 2018 de Lausanne Global Analysis https://lausanne.org/content/lga/2018-03/indias-water-crisis
  14. See https://www.theguardian.com/environment/2019/jul/04/planting-billions-trees-best-tackle-climate-crisis-scientists-canopy-emissions

Author's Bio

Tim Carriker

Tim a été missionnaire pendant 39 ans au Brésil avant de prendre sa retraite au Brésil, il y a 3 ans. Il est pasteur, professeur et écrivain ! Il s’intéresse particulièrement aux fondements bibliques de la mission de l’Église, aux contributions des sciences sociales au développement de théologies locales et contextualisées, à la communication interculturelle et à la théologie de la protection de l’environnement. Il est l’auteur de 10 livres (en portugais, espagnol et anglais), de 130 articles dans des magazines et des périodiques, organisateur et coordinateur de la traduction de deux livres en 11 volumes et de la Bible d’étude missionnaire (en portugais, espagnol et bientôt en anglais). Il a été le président fondateur de l’Association des professeurs de mission au Brésil, consultant auprès de l’Association des missions transculturelles brésiliennes et de plusieurs autres organisations missionnaires et président du conseil d’administration de la mission évangélique Caiuá (indienne).

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